La Grimoire et Nadine Laroche
LA GRIMOIRE
La Grimoire, une journale lesbienne (1986-1997) est la création de Nadine Laroche (1951-2010) – qui en sera « l’âme et la coordinatrice » – et de quelques-unes de ses amies.
Il y aura 15 numéros, tous fabriqués à la main (1) par Nadine, sauf le dernier numéro, qui le fut par une imprimerie d’Albi.
À partir du numéro 7 (2), chaque numéro était fabriqué à 50 exemplaires, les numéros 13 et 14 le furent à 100 exemplaires, et le n° 15 à 1 000 exemplaires.
L’origine de La Grimoire
En 1991, Nadine racontait à Radio Canicule [Genève (3)] les circonstances de la création de La Grimoire : « Un petit groupe de lesbiennes s’échangeait des “choses”, des lettres complètement frapadingues et on a décidé d’en faire quelque chose qui nous reste, qui se voie, mais uniquement dans le milieu lesbien ; c’est une décision de base et qui est toujours restée : que ça concerne les copines et que ça reste entre copines, pour qu’on se reconnaisse nous-mêmes. »
Son « sous-titre », une journale lesbienne, devint à partir du n° 14, en 1995, Journale justicière lesbienne intergalactique et aborigène, à la suite de la rencontre de Nadine avec les Lesbian Avengers, à New York, en juin 1994 (4).
La Grimoire, pourquoi ce titre ?
« Grimoire, selon le dictionnaire, c’est un recueil très ancien de formules magiques. Après un brainstorming, une longue nuit pas forcément très acharnée à trouver un titre, mais à beaucoup s’amuser à faire des jeux de mots, on a trouvé la Grimoire, parce qu’il fallait bien s’accaparer quelque-chose qui était du domaine des magiciens, La Grimoire, c’est une grande alchimie de la création. Les lesbiennes ont un savoir non reconnu, La Grimoire, ça correspond pas mal. Et puis c’est une référence aux sorcières qu’on a brûlées. »
« Et LA Grimoire, le féminin oui ! On appuie, on enfonce avec un marteau et on dit : il faut que les mots disent, il faut qu’on soit reconnues en tant que femmes, en tant que lesbiennes surtout (5). »
La Grimoire, par qui
Au fil du temps (11 ans), le cercle premier des écrivantes s’est bien sûr agrandi. Participaient à La Grimoire « des lesbiennes connues et inconnues qui trafiquent dans le champ d’expérimentation de l’imaginaire, des utopies et des luttes lesbiennes ».
La Grimoire, c’est « écrire, photographier, dessiner, détourner des créations faites par des hommes – ou des femmes – qui nous bloquent, qui nous révoltent. Il y a beaucoup de détournements d’images dans La Grimoire, c’est pourquoi c’est un journal pirate, on ne peut pas demander d’autorisations ni aux éditeurs ni à personne, pour garder une très grande liberté, dans l’anarchie de la création. On ne demandera jamais l’autorisation, on restera toujours un journal pirate, c’est le propre de La Grimoire, vraiment, c’est la base (6). »
La Grimoire, pour qui
Le mode d’emploi de La Grimoire n’a guère varié au fil des numéros. Entre le premier et le dernier numéro, juste quelques lignes de plus.
En 1986, le premier numéro dit : La Grimoire « veut s’adresser à toutes celles qui désirent s’y exprimer de manière ponctuelle ou suivie, sur quelque sujet que ce soit. » Et le dernier numéro, en 1997 : « La Grimoire s’adresse à toutes celles qui désirent s’y exprimer, de manière ponctuelle ou suivie, sur quelque sujet que ce soit : poésie, amour, humour, érotisme, suspens, herstory quotidienne ou sacrée, reportage, fiction ou nouvelle, rédigés par vous-même, nés de votre vécu et de votre imaginaire de lesbienne. »
Périodicité
La parution de la Grimoire était aléatoire : « Une fois que j’ai assez de feuilles, il y a une Grimoire qui naît, et puis ça dépend de ma disponibilité (7). »
Comment se procurer La Grimoire
Jusqu’au n° 14, La Grimoire n’était pas en vente dans les kiosques, et il n’y avait pas d’abonnement, car « seules en reçoivent un exemplaire celles qui participent à sa rédaction. »
On pouvait trouver La Grimoire « dans toutes les bonnes associations lesbiennes intergalactiques, et à l’occasion des fêtes et diverses manifestations lesbiennes » (8). À Toulouse, c’était à Bagdam Cafée et à La Gavine.
Il arrivait que Nadine en vende quelques numéros, pour payer « la pile de photocopies à faire » et ses voyages militants.
Le 15e et dernier numéro inaugure une formule avec abonnement, mais ce sera le dernier numéro…
La Grimoire est archivée depuis le n° 1, à la bibliothèque Marguerite Durand, à la Bibliothèque nationale de France, aux Archives lesbiennes à Paris et, traduite par Rosanna Fiocchetto, aux Archives lesbiennes de Rome !
NADINE LAROCHE
Lesbienne aussi radicale que chaleureuse et bienveillante, « irrépressiblement créative », « toujours curieuse de tout ce qui peut enrichir la culture lesbienne, Nadine Laroche voyage dans le monde lesbien : terres de femmes en Suisse, en France, en Allemagne, en Italie, Lesbian Avengers et Lesbian Pride à New York. La parole politique lui est essentielle, mais ne lui suffit pas. Appareil photo et caméra en main, elle filme inlassablement l’intelligence créatrice des lesbiennes. “Nous devons laisser des traces.” (9) »
Un autre aspect essentiel de son engagement : dénoncer l’éradication des femmes de la symbolique spirituelle du monde. « Et voici pourquoi Nadine Laroche se pose en guérillère d’une nouvelle culture holistique lesbienne qui prend ses racines dans le chamanisme, la permaculture et l’écoféminisme (10). »
Le 12 mai 2011, dans le cadre du 14e Printemps lesbien, une évocation de Nadine s'est tenue au bar lesbien La Luna loca (1998-2018), à Toulouse : des témoignages ont suivi la projection du film réalisé par ses amies, Nadine Laroche, activiste lesbienne, artiste rebelle.
La page « Privées d’elles » du site de Bagdam Espace lesbien garde son souvenir : http://www.bagdam.org/Nadine.html
Notes
1 Nadine se chargeait de réunir, photocopier et relier l’ensemble des textes et dessins de chaque numéro !
2 La mention du tirage n’est indiquée qu’à partir du n° 7.
3 Interview de Nadine Laroche, à propos de La Grimoire, par Radio Canicule, le quart d’heure lesbien, Genève, 4 décembre 1991. On peut écouter l’émission sur https://radiocanicule.ch/emissions-radios/, émission n° 18, environ 5 mn. Radio Canicule présente ainsi l’interview : « La Grimoire Journal pirate participatif et expérimental dans le mouvement lesbien à Albi et Toulouse (Bagdam Cafée), référence aux alchimistes et aux sorcières. »
4 « Le 25 juin 1994 à New York, 20 000 “Lesbian Avengers” (justicières lesbiennes) du monde entier défilent au son des fanfares de samba et des percussions déchaînées sur la Ve Avenue jusqu’à Washington Square, où elles avalent le feu symboliquement, en mémoire de l’agression contre une lesbienne et un gay, brûlés vifs dans leur maison. Inoubliable journée pour la lesbienne que je suis, émue jusqu’au plus profond de mon cœur d’être immergée dans cette foule de lesbiennes manifestant pour que soient reconnus nos droits civiques.
C’est là que je suis née Justicière Lesbienne. » Texte d’introduction à l’exposition photo « New York, International Dyke March, Ignit the Riot ! », que Nadine a présentée à l’occasion du Printemps lesbien de Toulouse 2009.
5 Dans Interview de Nadine Laroche, à propos de La Grimoire, par Radio Canicule, le quart d’heure lesbien, Genève, 4 décembre 1991.
6 Ibidem.
7 Ibidem.
8 Dans La Grimoire, n° 15.
9 Extrait de la notice biographique de Nadine, dans le programme du Printemps lesbien de Toulouse 2009 où elle avait présenté son exposition de photos ramenées de la marche mondiale lesbienne à New York, en 1994.
10 Extrait du résumé de son intervention, « Lesbiennes et spiritualité », pour le cycle d’études bagdamiennes « À l’École des lesbiennes », le 7 décembre 2003. |