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La chronique cinéma de Libussa

Tan de Repente

Réalisation Diego Lerman, scénario Maria Meira, Argentine, 1 h 34, 2002

On vous dira que ce film est lesbien. Ici, en fait, nous avons le regard d'un homme cinéaste (gay ?) sur de jeunes homosexuelles (?) qui, représentantes d'une classe sans ressource marchande ou symbolique (telles de nombreuses amies à nous), se voient contraintes, d'adopter, mimétiques, les mœurs des garçons du milieu.
Mao et Lénine (sic), les deux protagonistes présentées comme amantes et complices, sont des petites braqueuses qui, arme blanche à la main (tribut payé à la violence des films modernes, voir Bound), " empruntent " quelques scooters ou autres biens inaccessibles dans une Argentine en déroute. Et c'est l'arme à la main que l'une d'elles (Mao) annonce à une jeune femme rencontrée dans la rue qu'elle veut la baiser.
Cette femme, Marcia, nous l'avons vue au début du film évoluer dans les couloirs du métro, chez elle : elle s'ennuie ferme dans la vie comme dans sa boutique de lingerie. Des scènes à la Chabrol (vous vous souvenez de Les bonnes femmes ?) nous la montrent avec une autre employée tandis que les heures passent, vides et bovides. Soudain (tan de repente) lui arrive cet événement : une garçonne - qui annonce d'emblée " non je ne suis pas lesbienne " - lui déclare ex abrupto et non sans violence : " je veux te lécher la chatte ". Contrainte et forcée, fascinée aussi (en langage d'homme, on dirait " consentante "), Marcia suit les deux filles et, après quelques péripéties, se retrouve dans une voiture volée à un chauffeur de taxi. À l'arrière de la voiture, elle est violée par Mao (mais la scène est trop fugitive pour qu'on en soit certaine) et, les yeux bandés, elle est finalement libérée devant la mer : cadeau que lui fait sa ravisseuse, émue par une déclaration de Marcia : " je voudrais tant voir la mer. " Belle scène de plage où les trois filles trouvent une espèce d'accord. Il semble même que Marcia tombe amoureuse de sa violeuse . Ca ne vous rappelle rien ?
À la suite de divers incidents (stop en camion - hyperréaliste et onirique - autre stop avec une spécialiste des orques), les trois fugueuses arrivent chez une tante de Lénine à Rosario. La vieille tante, style Almodovar, aime bien fumer et boire. Elle a déjà deux pensionnaires dans son modeste logis, une peintre et un étudiant. Elle accueille avec une tendresse bourrue les trois " amies ". Scène de baise entre Mao et Marcia, de plus en plus éprise de sa violeuse. Belle Marcia dont la chair évoque les tableaux d'un Rubens, sans que Mao s'en émeuve outre mesure, étant plutôt du genre " une baise et une clope ". Lénine découvre avec sa tante la vie à la campagne, le charme de la conversation avec une voisine, aussi exotique à ses yeux qu'aux nôtres, il faut bien le dire. Cependant rien n'est simple entre les pensionnaires de la tante Bianca et les nouvelles venues. Mao se montre rude avec Marcia et préfère passer son temps avec l'étudiant en biologie auquel elle propose une baise moyennant paiement. Marcia, furieuse, se tourne vers la peintre, maternante et poétique, puis vers Lénine, décrite comme passionnée, sans qu'on voie à aucun moment cette passion se manifester, sinon pour la merveilleuse tante.
Je ne raconterai pas le final. Il faut bien laisser quelque surprise à la spectatrice. D'autant que le film donne beaucoup dans la litote.

Tourné en noir et blanc, le film est sobre, presque trop. On y parle peu. Parfois la mise en scène est rapide, efficace, parfois lente et égarée. Le vocabulaire des filles est élémentaire. À l'inverse de leurs initiatives. Pourquoi ce film a-t-il été primé tant de fois ? À cause de sa sobriété, justement, de la beauté des scènes à la mer, de certains plans à la campagne et, sûrement, parce qu'il est de bout en bout " queer ". C'est-à-dire qu'il ne dérange rien tout en paraissant hautement subversif... Road movie, dans les meilleurs moments, il fait penser à Telma et Louise. Le charme du film tient à mes yeux à sa distribution : les trois filles ressemblent comme deux gouttes d'eau à nos amies les plus chères. À cela près que nos amies ne nous ont pas encore mis le couteau sous la gorge pour nous obliger à découvrir les délices du " sexe ", comme il est dit ici avec une grande sobriété de mots. Sans vouloir hâter ce moment, courez tout de même au cinéma Utopia. Ne serait-ce que pour comparer votre vision du film à celle de vos amies gays et gouines.

    Libussa

       À bientôt pour Respiro...

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Dernière mise à Jour : 9 mars, 2011