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Duelle

par Michèle Causse


Sueur contre sueur
houle
sein contre sein
la main à l’odeur de cacaoyer digitale palpant
dans le blanc d’une chambre chaulée
croupes au nombre de deux
l’une renversée l’autre échouée
un seul cri fiché broyé par les palmes du ventilateur
corps de repues
les têtes reposant coupées sur le plat du drap
les yeux tachés de tain s'ouvrant nichées de serpents
et soudain les mots sonnailles résonnant à huis clos


« Coucoun maman » marmotta le jardinier les lorgnant derrière les jalousies
l’une de couleur noire mais pâle
l’autre de couleur blanche mais brune
l’une barrée des lèvres linéaires de la volonté
l’autre des yeux de l’éternelle providence dévoyée
sœurs zamies en ennemies l'une de pierre l'autre d'écaille
leurs matières se rejetant se recherchant dans une improbable greffe
la pensée de l'une en avant de la pensée de l'autre pour mieux la dévier
« O sortilegiu » marmonna le jardinier en portugais langue qu'il avait apprise sur les rives de l'Oyapock alors qu'il cherchait clandestin des pépites qu’il ne trouvait pas
« bonda maman cé mal' famm'la » n'étaient pas comme les autres
parlant comme si chacune de leurs paroles devait être la dernière ou tout aussi bien la première fatale unique
se réverbérant dans l’œil de l’autre qui attendait répartie riposte réplique
rien qu’un séisme sur la langue
« coucougnan maman » chuchota-t-il :
les mots étaient des lames de couteau qui frôlaient la cible l'épargnant volontairement
« miséricorde » l'une et l'autre à tout coup pouvaient faire mouche mais l’une et l’autre pétries de pitié détournaient la trajectoire
l’une toussant ahannant toute de fumée
l’autre flamboyant de dards
lasses l’une et l’autre l’une de l’autre
derrière les persiennes ignorant qu’il les épiait afin de recueillir leurs syllabes autant d’appâts qui le tenaient accroupi aux aguets écoutant la grenaille crépiter
« Seigneur" elles en mourraient et déjà il se voyait préparer la fosse près du mur d'enceinte sous le lacis de lianes qui cachaient la mer
rebouchant le trou avec la vieille roue du moulin afin d'étouffer les sons creusant à force de creuser s'endormant

au matin croyant découvrir une clairière de dévastation il les trouva sous
les arcades de la galerie
les chiens faisant cercle autour d'elles comme sur une carte postale
attendant devant un table en bambou que le temps les tue ou les grâcie
l’une malade d’un amour qui venait trop tard
l’autre d’un amour qui ne venait pas contrite et féroce
« mon Dieu » dit-il voyant de plus près le visage de l’une belle comme anaconda se dressant blason emblème
« pitié » tournant le regard vers l’autre qui bougeait une tête sévère et frénétique une Santa Hermandad inutile ô combien inutile et alors il vit qu’elle pleurait par les poignets
tandis que l’anaconda toute craquelée se mettait à faire eau par tout le corps
Il s’éloigna de son pas de guetteur et les voix reprirent crescendo tombant comme tampon estampille se gravant non pas dans l’oreille mais dans le nerf optique à cause de gestes qui les scandaient
ossus exigus glaçant les sangs
parce qu’ils cherchaient et évitaient à la fois l’irréparable dans un équilibre prodigieux et provisoire de sorte qu’il pensa « jusqu'au bout » sans savoir ce qu’il pensait voyant l’anaconda se faire constrictor et l’autre anatife en mortifère
l’œil enfin se détourna d’elles avec ce mal de la vue qui vient d’une trop grande fixité et regarda la mer ourlet des îles cannibales.

 

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Dernière mise à Jour : 18 mars, 2010